L’histoire (rappel)
Monsieur Martin fait une brillante carrière comme VRP de plusieurs sociétés. Il a toujours eu des voitures de fonction plus ou moins imposées. À l’automne de sa carrière, il voudrait s’offrir sa propre voiture, parce qu’il le mérite, qu’il a économisé suffisamment et surtout parce qu’il en rêve depuis longtemps. Son rêve, c’est un 4 ×4 d’une grande marque. Il a lu beaucoup de revues sur les performances techniques. Cela fait un bout de temps qu’il désire acquérir cette marque de renom et, qui plus est, ce modèle avec ses 140 ch. Mais au-delà de la puissance et de la notoriété de la marque, ce 4 × 4 doit pouvoir présenter l’avantage d’une modularité au niveau des sièges pour offrir un grand espace si nécessaire. En effet, monsieur Martin a une maison de campagne. Passionné de brocante, il veut pouvoir transporter du matériel de jardinage ou des meubles sans se soucier du volume. Il y a aussi une raison de sécurité, monsieur Martin se sentira plus à l’aise dans une voiture haute et solide. Sa question : est-ce qu’il ressentira tout le confort et les sensations qu’il aurait avec le modèle berline de la même marque ?
Parce qu’il veut concrétiser son rêve et, en même temps, faire une surprise à sa femme, monsieur Martin décide de se rendre chez le concessionnaire de la marque afin de parfaire ses connaissances, entre autres au sujet du service après-vente (il déteste les contrariétés) et de la motorisation. Si c’est un cadeau qu’il s’offre, il ne faut pas que cela lui coûte une fortune à chaque plein.
Jérémy, le vendeur, est occupé. Monsieur Martin attend debout, il voit des personnes affairées dans les bureaux périphériques. Il écoute Jérémy donner des explications techniques au client précédent. Il ne comprend pas tous les termes employés. Puis il observe comment Jérémy prend congé du client, se tourne vers lui en se rapprochant énergiquement, jusqu’à arriver très près de lui, à un mètre. Monsieur Martin le trouve très grand – Jérémy doit mesurer 1,90 m – avec son 1,72 m, monsieur Martin est mal à l’aise et sent son espace envahi ! Spontanément, il fait un pas en retrait. Jérémy, d’une voix imposante et rapide, le salue :
— Bonjour, en quoi puis-je vous aider ?
— Bonjour, répond monsieur Martin, un peu sur la défensive. Voilà je suis intéressé par le modèle 4 × 4. J’ai vu dans les revues le modèle W en diesel et en hybride.
— C’est un bon choix monsieur, 140 chevaux, 104 kW à tr/min, accélération de 0 à 100 km/h en 10,7 secondes, vitesse maximum de 183 km/h… Cela tombe bien, nous avons un modèle d’exposition, je vous invite à vous y asseoir.
— Si je veux transporter un meuble, les sièges sont-ils modulables ?
— Oui, pas de problème, comme toutes les voitures maintenant !
Monsieur Martin se tourne pour regarder les sièges arrière, mais Jérémy continue à lui parler de performance et de caractéristiques techniques… En sortant du véhicule, monsieur Martin veut ouvrir le coffre mais celui-ci ne s’ouvre pas, il se contente de regarder par la vitre pendant que Jérémy vante la souplesse de conduite, le confort…
— Pour l’entretien, comment cela se passe ? (en précisant qu’il sera alternativement à Paris et dans sa maison de campagne près d’Orléans).
Jérémy réagit immédiatement en précisant que c’est une voiture très fiable et que les révisions interviennent tous les 30 000 kilomètres.
Jérémy regarde monsieur Martin en essayant de confirmer un signal d’achat :
– C’est un projet que vous souhaitez réaliser prochainement? Vous savez, nous avons des conditions financières très intéressantes en ce moment…
— Je vous remercie, mais je dois en parler avec ma femme dans un premier temps et je vous rappelle pour envisager un essai avec elle. Et monsieur Martin recule pour saluer le vendeur et se dirige vers la sortie. Quinze jours plus tard monsieur Martin a acheté son 4 × 4 à Orléans, près de sa maison de campagne.
Pourquoi le vendeur n’a-t-il pas vendu ?
Les raisons techniques
L’accueil. C’est un classique, mais combien de fois le client se retrouvet-il à attendre sans être accueilli ? Et c’est encore plus frustrant quand il voit autour de lui des employés faire semblant de ne pas le voir.
Compte tenu que Jérémy est déjà occupé, il n’est pas stupide d’imaginer que les employés se sentent donc concernés par le fait que monsieur Martin est en train d’attendre. Dans un cadre préalablement motivé et validé par la direction, naturellement, les employés doivent pouvoir quitter leur tâche pour accueillir monsieur Martin et lui proposer d’attendre. Vous verrez, cela peut faire changer beaucoup de choses.
La découverte. Jérémy ne s’est jamais inquiété de découvrir le besoin de son client ni, plus encore, ses motivations. De même, il n’a pas su « écouter » son client. C’est tellement important pour confirmer les informations de la découverte mais également, et c’est plus subjectif, les désirs du client.
La reformulation. Conclure un processus de vente sans avoir reformulé l’ensemble des points qui contribueront à la prise de décision est voué à l’échec. À quoi cela sert-il de parler « financement » sans s’assurer préalablement que son client a tous les éléments pour prendre sa décision et qu’il est en mesure de la prendre ?
Laisser partir monsieur Martin sans prendre ses coordonnées, sans laisser ses coordonnées, voire sans prendre date pour un essai est une erreur de débutant que l’on voit malheureusement trop souvent.
Les raisons subjectives
Créer une relation est déterminant pour faire avancer sa vente. Avant même de parler, c’est une suite de détails qui fera que cette relation s’est créée ou non.
L’accueil. Le pas énergique de Jérémy pour s’approcher de monsieur Martin est une des premières raisons du malaise de ce dernier. Mais c’est bien la trop grande proximité physique établie par Jérémy qui en est la principale responsable. Il est admis qu’il faut respecter une distance d’environ 1,5 mètre. En deçà (de 0,45 m à 1,2 m), on entre dans la « sphère personnelle » du client, on est dans la familiarité (*). Cette distance varie sensiblement selon l’origine et la culture du client. On respectera plus de distance avec un client nordique ou asiatique et moins de distance avec un client d’origine latine ou méditerranéenne. Jérémy, plus grand que son client aurait dû respecter cette distance et même l’accentuer pour ne pas rentrer dans l’espace personnel de celui-ci, dans sa « bulle », et éviter de le mettre mal à l’aise.
L’empathie : savoir sentir ! Sentir tous les faits et gestes comme des signaux qu’il faut prendre en compte. Quand on sait que la communication visuelle et non verbale pèse pour plus de 70 % de la perception du client, on comprend combien l’empathie est indispensable pour créer une relation.
Jérémy aurait dû prendre le temps de constater que monsieur Martin était mal à l’aise dès le départ. Il devait avant tout remercier monsieur Martin d’avoir patienté. Il aurait dû également prendre en compte ses frustrations, à l’intérieur et à l’extérieur de la voiture ainsi que l’absence de réponses à ses questions.
La synchronisation non verbale : savoir reproduire ou refléter le comportement physique de son client. C’est-à-dire essayer d’avoir son buste, son regard, sa voix, l’inclinaison de la tête, les gestes des mains… symétriques à ceux du client. Regardez deux personnes qui s’aiment sur une terrasse de café. Vous constaterez qu’ils ont des postures totalement symétriques dans leur façon de se tenir, de se regarder et de se sourire mais également dans leur gestuelle. Ils sont en synchronisation.
Au moment d’accueillir monsieur Martin, Jérémy, voyant celui-ci faire un pas en arrière, aurait dû reculer également d’un pas. Il aurait dû baisser le ton et le rythme de sa voix pour les mettre à un niveau proche de celui de monsieur Martin afin de le mettre à l’aise et de créer une relation, un ancrage.
Calibration : savoir détecter les réactions de son client grâce à l’observation méticuleuse. C’est une multitude de détails au niveau du visage, des gestes, de la position ou des expressions…
Jérémy aurait dû détecter le regard de monsieur Martin quand, à l’intérieur de la voiture, celui-ci s’est retourné pour voir le volume et la modularité des sièges. De même, au moment où monsieur Martin n’arrivait pas à ouvrir le coffre et se contentait de regarder par la vitre.
La synchronisation verbale : savoir choisir les bons mots comme maîtriser la langue sont essentiels pour mener à bien la relation de vente. L’objectif est d’être en phase par rapport aux questions du client mais également d’utiliser les mots importants que le client a besoin d’entendre. C’est ce que l’on appelle la recherche des points d’accord.
Jérémy n’a pas su répondre aux questions de monsieur Martin (sur la modularité, le service après-vente…), il n’a jamais été en synchronisation avec lui. De même, il n’a pas su réutiliser les mots modularité, volume, sécurité… que voulait entendre monsieur Martin.
On voit bien que le repli de monsieur Martin est à l’origine de l’ensemble des points détaillés ci-dessus. Lorsque celui-ci annonce qu’il doit en parler à sa femme, c’est un faux prétexte, puisqu’à l’origine, il voulait lui en faire la
(*) Concepts de proximité étudié par l’anthropologue Edward Hall (Voir aussi : A propos de : La Proxémie)